mercredi 7 décembre 2016


Quel avenir pour la Turquie ? 

Cent jours après le coup d’état avorté, plus de cent-cinquante mille personnes ont été arrêtées ou démises de leurs fonctions. Aujourd’hui, la Turquie n’est plus une démocratie, mais elle n’est pas – encore – une dictature. Retour sur cet épisode dont on mesure peu les conséquences.

Après le coup d’état ayant eu lieu dans la nuit du quinze au seize juillet 2016, Erdogan se lance dans une véritable chasse aux sorcières. L’état d’urgence est imposé de manière tout à fait légale, mais aux vues des conséquences, nous sommes en droit de nous demander si cet état d’urgence n’est pas un prétexte du pouvoir exécutif pour servir un but plus personnel.

La promesse d’un état d’urgence temporaire

L’article 120 de la Constitution Turque permet l’instauration de l’état d’urgence sur tout ou partie du territoire, en cas d’ « indications graves sur des actes généralisées de violence ayant pour but la destruction de l’ordre démocratique ». Il ne doit pas excéder six mois et le Parlement a le pouvoir de le prolonger par ou de le lever.

En Turquie l’état d’urgence est décrété le 20 juillet 2016 pour une période de trois mois, dans la foulée le vice-Premier Ministre exprime la volonté de le lever dès que possible. Mais à la surprise générale, alors que la mesure d’urgence devait prendre fin le 19 octobre, ce même vice-Premier Ministre annonce que le pouvoir exécutif a décidé de le prolonger pour une période 90 jours[1].




Dans le cadre de l’état d’urgence, la Constitution Turque prévoit que l’ « exercice de droits fondamentaux et de libertés, peut être partiellement ou entièrement suspendu »[2]. Le Conseil des Ministres, sous la présidence du chef de l’état peut émettre des décrets ayant force de lois.

La mise en place d’une purge étatique

Ainsi dans le cadre de l’état d’urgence, c’est une véritable purge étatique qui va être mise en place. Le pouvoir exécutif va multiplier les décrets pour mettre hors d’état de nuire les prétendus sympathisants aux instigateurs du coup d’état. Le 27 juillet 2016, plus de 130 médias dont des agences de presse, des maisons d’édition, des stations de radios sont mis au pas par Erdogan.

Trois mois après, la purge devient politique et Erdogan décide de s’attaquer aux opposants politiques de son parti, l’AKP. Le 31 octobre une importante opération de police frappe un grand quotidien Turque, connu pour ses prises de position et ses révélations frappant les sphères du pouvoir. Son rédacteur entre autres, a été placé en détention. Il est accusé de soutenir Kadri Gursel (instigateur présumé du coup d’état de l’été) et les rebelles kurdes du PKK.

Puis dans la nuit du 4 novembre, la purge frappe les membres du HDP (partie de la démocratie des peuples), troisième force politique en Turquie et opposant historique à Erdogan. Le parti est accusé de sympathiser avec les rebelles kurdes. Neuf membres sont arrêtés, dont les deux présidents du parti.

Or, le 20 mai dernier, le Parlement a approuvé un projet de réforme
destiné à lever l’immunité des députés visés par des procédures judiciaires.

Difficile donc de ne pas y voir une manipulation politique et législatives de la part du Président Turque.

Vers une réforme du Régime présidentiel

Selon la loi fondamentale turque, le président n’a qu’un rôle honorifique. C’est le Premier Ministre qui est le véritable chef du pouvoir exécutif, et il agit en collaboration avec le Parlement.

Mais ce n’est un secret pour personne, Erdogan nourrit la volonté d’un projet de réforme. Dans ce projet, le poste de Premier Ministre disparaît et le pouvoir exécutif est séparé du pouvoir législatif. Ce qui est donc en cause, selon cette logique, c’est le régime parlementaire en lui-même.

Mais n’est-ce pas également la démocratie ?
Car en réalité, Erdogan est en train de réécrire la Constitution Turque à son avantage. La présidentialisation du projet d’Erdogan met en danger la Turquie principalement à cause de l’avidité de pouvoir dont il fait preuve.

Aujourd’hui cette réforme semble dépasser le stade de simple projet.
En effet, la majorité des trois cinquième est nécessaire au Parlement pour convoquer un référendum (330 députés sur 550). L’AKP disposant de 316 siège, et les 40 députés du parti d’extrême droite (MHP) s’étant ralliés du côté de cette majorité, le référendum peut rapidement prendre forme.

La Turquie est donc aujourd’hui dans un mouvement beaucoup plus

dévastateur que la simple « turquish fatigue » post adhésion UE. Rajoutons à cela, les références constantes d’Erdogan au rétablissement de la peine de mort, et nous pouvons dire que la Turquie glisse doucement mais sûrement vers un régime autoritaire.


Pour en savoir plus :
PIERRE HAMDI, CORRESPONDANT À ISTANBUL

Le Point
Dossier – Turquie, jusqu’où ira Erdogan ?

DualAmical
Dossier : La Turquie a-t-elle besoin d'un régime présidentiel ?

Laura Darmon




[1] http://www.lemonde.fr/europe/article/2016/10/03/la-turquie-prolonge-l-etat-d-urgence-de-trois-mois-a-partir-du-19-octobre_5007509_3214.html
[2] Article 15 de la Constitution Turque