La Cour Européenne des droits de l'Homme face aux États Membres
(vue sur l'arrêt JK et autres contre Suède)
Par une
décision rendue le 23/08/2016 JK et autres contre Suède, la Cour Européenne des
Droits de l’Homme valide la violation de l’article 3 de la Convention (EDH), dont
le respect est assuré par cette dite Cour, selon l’article 19 de la Convention.
L’affaire
concernait trois ressortissants irakiens, demandeurs d’asile en Suède, et visés
par une décision d’expulsion vers l’Irak.
En réalité,
cet arrêt va plus loin que la condamnation de la Suède pour violation de
l’article 3. Il montre peut-être l’immixtion timide, mais croissante, de la
Cour dans la souveraineté des états. En effet, la Cour est dans une course à la
légitimité.
Jean Paul
Costa lors de la Conférence de Bruxelles souligne l’importance de la « responsabilité
partagée » qui est un devoir pour les états et pour la Cour, il rajoute
qu’il faut favoriser le dialogue bilatéral. En somme, selon Costa, les états
doivent jouer le jeu et respecter les arrêts rendus par la Cour. Ce leitmotiv
qui motive la Cour, et en quelque sorte légitimé par Costa.
Ainsi donc
notre arrêt JK et autres contre Suède devient intéressant lorsque nous le
comparons à un autre arrêt rendu quelques mois plus tôt, l’arrêt FG contre
Suède : Refus des autorités
suédoises d’accorder l’asile à un ressortissant iranien qui s’est converti au
christianisme en Suède. Le requérant, F.G., alléguait notamment que son
expulsion vers l’Iran l’exposerait à un risque réel d’être persécuté et puni ou
condamné à mort en raison de son passé politique dans le pays et de sa
conversion de l’islam au christianisme.
Dans cet
arrêt, la Cour conclue certes à la violation de l’article 2 et 3, mais elle se
contente de soumettre les autorités nationales à être plus rigoureuses dans
l’appréciation de la situation des demandeurs d’asiles[1]
Toutefois,
nous pouvons douter de l’efficacité de remettre l’entier contrôle aux états
dans la mesure ou d’autres affaires sont pendants devant la Cour. Dans ce sens
le juge Bianku dans une opinion concordante dit : « Je pense que seule une appréciation au
niveau national conforme à l’article 3, telle que définie par la Cour,
permettrait de réduire progressivement la nécessité pour la Cour de Strasbourg
d’intervenir et de procéder elle-même, dans un second temps, à une
analyse ex nunc de
situations qui sont délicates et évoluent constamment »
Mais dans
notre arrêt (JK et autres), la Cour
s’approprie l’appréciation concrète de la situation et des risques encourus par
les demandeurs, elle applique elle-même le « critère ex-nunc ».
Plusieurs
opinions dissidentes ou concordantes commentent cet analyse de la Cour, pour
certains c’était une attente et pour d’autres c’est un abus.
En
particulier le juge Bianku souligne un point à mon sens intéressant et
essentiel concernant la crédibilité de la Cour.
Elle
souligne que les affaires concernant les demandeurs d’asiles sont des affaires
délicates et que certes elle doit se livrer à une analyse ex nunc mais avant
cela, elle doit écarter l’efficacité du système interne en cause. Ainsi pour le
juge Bianku, pour que la Cour soit crédible elle doit respecter le principe de subsidiarité.
Elle ne contredit pas les états, elle complète leur analyse, comme une Cour
régulatrice.
Notons enfin
le courage de la Cour de prendre parti dans une affaire délicate en ce moment,
la Crise des réfugiés. Et ce n’est pas la première fois qu’elle ose soumettre
son point de vue à celui des états. En effet gardons en mémoire l’épisode de
l’arrêt MSS contre Belgique et Grèce à la suite duquel, l’Union Européenne
avait réformé son règlement Dublin et admis la lacune de son système d’accueil
des demandeurs d’asiles.
Affaire à suivre