mercredi 19 octobre 2016


La Cour Européenne des droits de l'Homme face aux États Membres
(vue sur l'arrêt JK et autres contre Suède)

Par une décision rendue le 23/08/2016 JK et autres contre Suède, la Cour Européenne des Droits de l’Homme valide la violation de l’article 3 de la Convention (EDH), dont le respect est assuré par cette dite Cour, selon l’article 19 de la Convention.
L’affaire concernait trois ressortissants irakiens, demandeurs d’asile en Suède, et visés par une décision d’expulsion vers l’Irak.

En réalité, cet arrêt va plus loin que la condamnation de la Suède pour violation de l’article 3. Il montre peut-être l’immixtion timide, mais croissante, de la Cour dans la souveraineté des états. En effet, la Cour est dans une course à la légitimité.
Jean Paul Costa lors de la Conférence de Bruxelles souligne l’importance de la « responsabilité partagée » qui est un devoir pour les états et pour la Cour, il rajoute qu’il faut favoriser le dialogue bilatéral. En somme, selon Costa, les états doivent jouer le jeu et respecter les arrêts rendus par la Cour. Ce leitmotiv qui motive la Cour, et en quelque sorte légitimé par Costa.

Ainsi donc notre arrêt JK et autres contre Suède devient intéressant lorsque nous le comparons à un autre arrêt rendu quelques mois plus tôt, l’arrêt FG contre Suède : Refus des autorités suédoises d’accorder l’asile à un ressortissant iranien qui s’est converti au christianisme en Suède. Le requérant, F.G., alléguait notamment que son expulsion vers l’Iran l’exposerait à un risque réel d’être persécuté et puni ou condamné à mort en raison de son passé politique dans le pays et de sa conversion de l’islam au christianisme.
Dans cet arrêt, la Cour conclue certes à la violation de l’article 2 et 3, mais elle se contente de soumettre les autorités nationales à être plus rigoureuses dans l’appréciation de la situation des demandeurs d’asiles[1]
Toutefois, nous pouvons douter de l’efficacité de remettre l’entier contrôle aux états dans la mesure ou d’autres affaires sont pendants devant la Cour. Dans ce sens le juge Bianku dans une opinion concordante dit : « Je pense que seule une appréciation au niveau national conforme à l’article 3, telle que définie par la Cour, permettrait de réduire progressivement la nécessité pour la Cour de Strasbourg d’intervenir et de procéder elle-même, dans un second temps, à une analyse ex nunc de situations qui sont délicates et évoluent constamment »

Mais dans notre arrêt (JK et autres), la Cour s’approprie l’appréciation concrète de la situation et des risques encourus par les demandeurs, elle applique elle-même le « critère ex-nunc ».
Plusieurs opinions dissidentes ou concordantes commentent cet analyse de la Cour, pour certains c’était une attente et pour d’autres c’est un abus.
En particulier le juge Bianku souligne un point à mon sens intéressant et essentiel concernant la crédibilité de la Cour.
Elle souligne que les affaires concernant les demandeurs d’asiles sont des affaires délicates et que certes elle doit se livrer à une analyse ex nunc mais avant cela, elle doit écarter l’efficacité du système interne en cause. Ainsi pour le juge Bianku, pour que la Cour soit crédible elle doit respecter le principe de subsidiarité. Elle ne contredit pas les états, elle complète leur analyse, comme une Cour régulatrice.

Notons enfin le courage de la Cour de prendre parti dans une affaire délicate en ce moment, la Crise des réfugiés. Et ce n’est pas la première fois qu’elle ose soumettre son point de vue à celui des états. En effet gardons en mémoire l’épisode de l’arrêt MSS contre Belgique et Grèce à la suite duquel, l’Union Européenne avait réformé son règlement Dublin et admis la lacune de son système d’accueil des demandeurs d’asiles.

Affaire à suivre


Laura D



[1] §158 CEDH FG et autres contre Suède